Merci monsieur Inchauspé

Merci monsieur Inschauspé.

Vous dites très bien ce que je pense.
Texte provenant de « http://www.ledevoir.com/2007/10/24/161650.html »

Enseignement du français et réforme du programme d’études – De l’enseignant technicien au professionnel
Paul Inchauspé, Président du Groupe de travail ministériel sur la réforme du curriculum d’études (1994) et auteur de Pour l’école – Lettres à un enseignant sur la réforme des programmes (Éditions Liber, 2007)

L’article d’Antoine Robitaille du 16 octobre dernier titrait en première page : «Courchesne craint la réforme au secondaire — L’apprentissage du français risque d’écoper, selon la ministre». C’est un sujet grave : il s’agit de l’apprentissage du français. La personne qui exprime ses craintes ou ses doutes n’est pas un personnage secondaire : c’est la ministre de l’Éducation. Ses craintes concernent les effets négatifs du nouveau programme de français sur les capacités d’écriture des élèves : des lacunes constatées montreraient qu’ils n’ont pas acquis les connaissances de base.

À la lecture [de cet article], on ne sait pas si la ministre craint les effets du programme du français du secondaire ou ceux de celui du primaire sur les élèves qui accèdent au secondaire. On ne sait pas non plus si elle a des doutes sur le programme lui-même ou sur la manière dont il est appliqué. […]

Je crains les effets d’un tel article sur une opinion publique peu informée sur les sujets concernant la réforme du programme d’études. À partir de ces propos, des lecteurs pourraient mettre, sur le compte de la réforme, les lacunes en français écrit dont parle la ministre. Encore une fois: «Haro sur le baudet… d’où nous vient tout le mal?» Mais quelles sont donc les dispositions prises pour l’enseignement du français dans la réforme, et que dit le programme, établi par le ministère, de cet enseignement?

La réforme et le français

Pour les neuf premières années d’études, un choix a été fait: celui d’un enseignement du français qui mettrait l’accent essentiellement sur l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la communication orale. Ces trois mêmes objectifs sont repris, chaque année, durant neuf ans. Si une telle importance est donnée à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pendant ces neuf premières années, c’est parce que savoir lire et écrire conditionnent tous les apprentissages ultérieurs, scolaires et aussi professionnels.

L’apprentissage de ces savoirs essentiels bénéficie aussi de plus de temps qu’auparavant. Le temps prescrit pour le français au premier cycle du primaire est passé de sept à neuf heures par semaine. Pendant cette période, plus du tiers du temps de travail de l’élève à l’école est consacré à cet apprentissage. Pour les quatre autres années, le temps prescrit est resté à sept heures par semaine.

Au secondaire, le temps consacré au français pendant les trois premières années est accru de façon significative. Ce fut là une des dispositions importantes de la réforme du curriculum. Quand on sait l’âpreté des luttes entre disciplines lors des débats précédant cette réforme, l’agitation insistante et persistante de certains lobbys disciplinaires pour augmenter leur espace dans la grille-matière, décider une augmentation de temps d’une telle ampleur pour le français ne fut pas une mince affaire pour l’autorité politique.

Antérieurement, 450 heures, au total, étaient consacrées à l’enseignement du français durant ces trois ans. Dorénavant, ce seront 600 heures, soit un tiers de plus de temps qu’auparavant. Cela représente 22 % du temps scolaire de l’élève. Cette augmentation du temps a un effet: celui de réduire le nombre d’élèves différents qu’auront les enseignants de français. «Ils pourront ainsi faire davantage écrire leurs élèves et assurer un meilleur suivi des travaux de chacun», dit l’énoncé de politique éducative.

Le programme de français

Qu’en est-il maintenant de la formulation du programme de français dans les documents ministériels? Je commencerai par le secondaire. Il m’arrive d’être critique de la manière dont sont rédigés les documents ministériels du programme. Je leur reproche d’être trop bavards et jargonnants quand ils abordent les considérations générales portant sur la pédagogie et trop peu explicites quand ils traitent des contenus.

Or on ne peut pas faire un tel reproche au programme de français du premier cycle du secondaire. Les textes sont clairs et le contenu de ce que les élèves doivent savoir (et surtout appliquer) pour lire, écrire, communiquer, ainsi que les éléments de la grammaire du texte qu’ils doivent maîtriser sont tellement explicités de la page 97 à la page 144 du Programme de formation de l’école québécoise – Enseignement secondaire, premier cycle que cela donnera des complexes à ceux qui liront ces pages. Et le degré d’explicitation de ce contenu est tel qu’un enseignant de français pourrait se passer de manuel.

Le contenu de programme du primaire n’a pas le même degré d’explicitation que celui du secondaire. On le trouve aux pages 86 à 95 du Programme de formation de l’école québécoise — Éducation préscolaire, enseignement primaire. Mais on y trouve, sous le titre «Les connaissances» (oui, ce mot y est tel quel), trois pages (pages 88 à 90) présentant la liste, répartie par cycle, des connaissances liées au texte et à la phrase et qui doivent être maîtrisées par les élèves. Je ne trouve pas toujours dans ces pages la terminologie de la grammaire de mon enfance, mais je devine sous ces mots des choses apprises et dont l’application me demande encore et toujours des efforts de vigilance.

On peut critiquer bien des aspects du nouveau programme d’études, notamment certaines de ses formulations, mais on ne peut, sans mauvaise foi, dire qu’il ne contient pas de contenus exigeants en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Cette réforme met aussi de l’insistance sur la nécessité de développer chez les élèves la capacité d’appliquer ce qu’ils ont appris. C’est l’idée véhiculée par le mot «compétence».

Il arrive qu’on abuse de ce terme, mais il est parfaitement justifié dans le cas d’un enseignement du français qui vise essentiellement les apprentissages du savoir lire, du savoir écrire et du savoir communiquer. Ce sont là des savoir-faire intellectuels qui se développent par la pratique et se manifestent dans la mise en oeuvre. Il faut des connaissances, des règles et des stratégies, mais tout cela n’est véritablement acquis que si on est capable de les mettre en pratique. Aussi, le développement des compétences en lecture ou en écriture demande quelques connaissances mais surtout beaucoup, beaucoup de pratique. Et si les médiocres résultats en français écrit étaient aussi dus au fait qu’on l’oublie parfois?

Mise en application

Je ne pense pas qu’il faille chercher les causes des lacunes de l’apprentissage du français dans les dispositions nouvelles qui concernent cette matière dans la réforme, ni dans le contenu du programme. Il faudra plutôt regarder du côté de son application et des conditions de cette application. Mais chercher les causes dans ce domaine, c’est ouvrir une boîte de Pandore.

Qu’est-ce qui peut expliquer les lacunes constatées: les tests utilisés? L’élève? L’enseignant? Ses méthodes? Les manuels? Le degré d’appropriation des exigences du programme? Les effets du «bruit» sur et autour la réforme? L’importance donnée par l’école à l’apprentissage du français? Les difficultés particulières de cet enseignement aux élèves d’aujourd’hui? Les effets de la suppression du redoublement? Le contrôle de l’application du programme par la commission scolaire? Les effets des dispositions prises pour libérer l’espace professionnel des enseignants? La liste peut s’allonger.

Mais le dernier point, peu connu du grand public, mérite ici un court développement. Antérieurement, l’espace professionnel de l’enseignant était bridé. Le programme jalonnait le chemin qu’il devait parcourir au moyen de très nombreux objectifs intermédiaires et l’omniprésence d’une forme d’évaluation très normée privilégiait — «cochez oui, cochez non» — des réponses à des questions fermées. Ce dispositif avait été mis en place à la fin des années 70 à la suite des inquiétudes exprimées par le ministre de l’Éducation du temps à propos de l’apprentissage du français.

Cette forme de détermination du programme et ce mode d’évaluation visaient à faire de l’enseignant un technicien, applicateur de procédures déterminées ailleurs. Ces deux verrous ne sont plus là. Mais le passage de la situation de technicien à celle de professionnel, dorénavant responsable des moyens, ne se fait pas magiquement. Même souhaité par beaucoup d’enseignants, il est difficile: des repères nouveaux doivent être trouvés, des expertises nouvelles acquises.

La disparition de ces verrous, en ouvrant une nouvelle situation de liberté pédagogique, produit aussi le tohu-bohu actuel des batailles du bulletin et des pédagogies. De telles perturbations se produisent quand les organisations changent profondément leur logique de fonctionnement. Passer d’une situation d’applicateur à celle de professionnel n’est pas un détail.

Que faire pour faciliter cette transition et lui faire produire ce qu’on en attend? Voilà la vraie question qui se pose à la ministre. Certains lui conseilleront de revenir en arrière. Plusieurs de ceux qui travaillent à se réapproprier, dans l’évaluation, l’exercice du jugement que des décennies de pratique de «cochez oui, cochez non» leur avaient fait perdre pensent qu’elle vient de le faire pour le bulletin. À cette occasion, ils se sont sentis abandonnés et même floués. On peut cependant croire qu’elle résistera à ceux qui, pour être rassurés, lui demanderaient de remettre aussi les enseignants du primaire et du secondaire dans la situation antérieure d’applicateurs. Car les écouter serait, dans ce cas, une très grave erreur.

Ce texte est une copie de celui tiré du Devoir (http://www.ledevoir.com/2007/10/24/161650.html) avant qu’il soit archivé.

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